Saturday, March 18, 2006

Syrie: Changement en trompe-l'oeil

Après un quatrième remaniement ministériel en six ans, le gouvernement syrien n’en finit pas de faire du sur place. Et gare aux opposants du régime. Ils sont invités à « prendre une tasse de café », histoire de les mettre au frais.



Depuis qu’il a hérité de la magistrature suprême en juin 2000, le président syrien Bachar al-Assad a procédé à trois amendements ministériels en 2001, 2004 et 2006. Il a également remplacé l’ancien premier ministre, Mohammed Moustapha Mirou, par l’ancien président du Parlement, Mohammed Naji al-Itrri, en 2003. Bachar al-Assad était d’ailleurs le principal architecte du premier gouvernement Mirou, formé en mars 2000 alors qu’il n’était que le conseiller de son père. A chaque changement, les médias aux ordres du pouvoir mènent une campagne affirmant qu’il vise la modernisation, le développement, la réforme et l’injection de sang nouveau au sein de l’équipe ministérielle. Or il s’est trouvé que ces nouvelles figures propulsées lors du premier changement sont les premières éliminées lors du second, et présentées par ces mêmes médias comme un frein aux réformes et à la modernisation. Certains d’entre eux sont même parfois accusés de corruption et d’abus de pouvoir, comme l’ancien premier ministre Mirou. Les médias proches du pouvoir, comme le site électronique Champress, rapportent qu’il a été interdit de voyage après avoir été accusé de corruption. Selon le même site, ses avoirs personnels, ceux de son fils et de son gendre auraient été saisis.
Le plus frappant dans la nouvelle équipe gouvernementale, c’est que certains nouveaux ministres aux portefeuilles sensibles – et qu’on gratifient de « jeunes » par rapport à la vieille garde de Farouk Chara’e (68 ans) qui quitte les Affaires étrangères pour le poste de vice-président de la République, le premier ministre Itri (62 ans) ou le nouveau titulaire des Affaires étrangères, Oualid Al-Mou’allem (65 ans) –, sont considérés comme faisant partie des réseaux qui gravitaient autour du général Ali Douba, le chef historique des services de renseignement militaire jusqu’en 2000. A cette époque, ils avaient évolué dans divers postes de responsabilité au sein du parti Baas, de l’administration, de l’université ou des médias. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de remarquer que c’est le premier gouvernement syrien où le général Douba, pourtant à la retraite, compte un aussi grand nombre d’anciens obligés. Cela ne pourrait que confirmer les informations en provenance de Damas, et souligner le retour en grâce de l’ancien patron du renseignement militaire. Serait-ce pour gagner son silence ou sa neutralité au sein de l’ancien appareil qu’il dirigeait ? Il s’avère qu’on retrouve aujourd’hui des vétérans du renseignement militaire et certains officiels qui en sont issus.
Par ailleurs, le maintien de Itri au poste de premier ministre démontre que la stagnation et la continuité sont toujours de rigueur et que le cercle du pouvoir se rétrécit. Il n’y a pas de place pour de nouvelles recrues, notamment au passé sécuritaire ou ethnique. En effet, des rumeurs avaient colporté le nom de l’ancien général du renseignement militaire, Hicham Bakhtiar, comme possible successeur de Itri. La logique qui sous-tend l’évolution générale du régime rend cette succession dramatique fort plausible, d’autant plus que le général Bakhtiar avait été élu membre du commandement national (syrien) du Baas, dans le but évident de blanchir son passé d’officier bourreau dans les renseignements militaires. L’impasse dans laquelle se trouve le pouvoir, le gel des efforts égypto-saoudiens pour réanimer un régime plus isolé que jamais, et la détérioration de la situation économique, sont autant de raisons qui ont incité le gouvernement à maintenir Itri dans ses fonctions.
Même si les espérances de la population ont été déçues, le général Ali Mamlouk, chef des renseignements généraux, a tenu à célébrer l’événement à sa manière : il a ordonné la réincarcération de l’ancien député dissident Mamoun Houmsi et convoqué un autre ancien député Riyad Seif (tous les deux avaient été libérés un mois auparavant après avoir été incarcérés à l’automne 2001, en raison de leur participation au feu Printemps de Damas de cette même année). Il a aussi arrêté l’éminent militant pour la démocratie, Mohammad Najaty Tayyara, et réincarcéré Mohammad Ali al-Abdallah qui avait été arrêté pour avoir défendu son père Ali al-Abdallah lui-même arrêté après avoir lu, dans réunion publique au Forum Atassi, une lettre électronique adressée au Forum par Ali Sadre al-Bayanouni, le contrôleur général de la Confrérie (interdite) des Frères musulmans syriens !
Et comme pour signifier à qui de droit que les temps ont changé sans que les méthodes policières évoluent pour autant, le général Mamlouk a libéré les deux anciens députés Houmsy et Seif, après les avoir invités à une « tasse de café ». C’est en tout cas la nouvelle terminologie post-moderne adoptée désormais par les appareils de sécurité syriens à la place de « convocation », « interrogation » ou « arrestation ». Il semblerait cependant que le général Mamlouk ait regretté d’avoir libéré M. Houmsy, ce qui l’a amené à lui demander de passer « prendre un deuxième café ». Et quand ses hommes sont venus le chercher chez lui, ils ont constaté son absence. Mais plutôt que de rentrer bredouilles, ils ont agi selon le réflexe qui a été le leur pendant des décennies : ils ont amené avec eux son fils comme otage !
Ainsi, avec le quatrième remaniement ministériel en six ans, il paraît qu’il y a pire que de faire du surplace : que le nouveau gouvernement fasse un pas en arrière. Cela nous rappelle la célèbre phrase du penseur marxiste italien Antonio Gramsci : « L'ancien se meurt ; le nouveau ne parvient pas à voir le jour ; dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »

1 Comments:

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9:33 AM  

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