Saturday, March 18, 2006

Annus Horibilis

Subhi Hadidi Blog

Syrie 2005: Annus Horibilis

2005, l’année de tous les dangers pour le régime de Bachar al-Assad. En remettant au goût du jour les assassinats politiques, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays, en sommant les institutions d’exprimer leur solidarité, le pouvoir pense endiguer, par la terreur, les forces du changement.


8 janvier 2006. Une journée particulièrement éprouvante pour le président syrien Bachar al-Assad. Commencée par une réunion urgente avec le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud al-Fayçal, elle s’est poursuivie, à midi, par une rencontre improvisée au sommet, à Djeddah, avec le roi Abdallah Bin Abdelaziz, pour se terminer par un autre sommet à Charm el-Cheikh, avec le président égyptien Hosni Moubarak. Les médias officiels syriens ont choisi de qualifier ce marathon de « longue journée pour la solidarité arabe ». Tout en évitant de dire qui se solidarise avec qui, et pour quelle cause. Il était facile de comprendre, pourtant, que cette « solidarité » était à sens unique, tant le régime syrien a aujourd’hui plus que besoin d’être soutenu par les « frères arabes ». Empêtré dans une crise majeure qui menace sa survie-même, le régime s’est senti obligé de solliciter fébrilement cette série de médiations et d’initiatives.
Le président syrien a ainsi entamé la nouvelle année en tentant d’éloigner au plus vite le spectre de 2005, certainement l’année la plus dangereuse depuis son accession au pouvoir à la mort de son père, en juin 2000, par voie héréditaire et grâce, notamment, au diktat des appareils sécuritaires et militaire. Pour travestir ce coup de force, un simulacre d’élection présidentielle avait été organisé un mois plus tard, au cours duquel Bachar al-Assad a été plébiscité à 97% des voix !
L’année écoulée a également été celle où le régime s’est surpassé dans l’horreur. Tant dans le domaine de la politique intérieure, avec l’accentuation de la répression et du despotisme, le rétrécissement du pouvoir au simple cercle familial, le pillage de type mafieux de l’économie et des richesses nationales, la paupérisation grandissante.., que sur le plan régional et international (Liban, Palestine, Irak).
Nul besoin d’être grand clerc pour deviner que les vicissitudes de 2005 auront des répercussions ravageuses en 2006. En passant en revue quelques-uns de ces événements, on comprend mieux la gravité de la crise générale que vit le régime de Damas.
- L’assassinat, en février 2005, du président du Conseil libanais, Rafic Hariri, a été le marqueur le plus révélateur de la dégradation de la diplomatie syrienne, de la régression de son influence régionale et de la perte de la plupart de ses cartes maîtresses qui permettaient autrefois au régime syrien sous Hafez al-Assad de surmonter les diverses crises et assuraient sa longévité. Les dividendes économiques, politiques et dissuasives de cette diplomatie ne sont plus aujourd’hui qu’un vague souvenir. Cela explique le retour à la politique de dissuasion par les assassinats, d’adversaires réels ou supposés. Une option à laquelle le père de l’actuel président avait renoncé durant les dernières années de son règne. Le retour de la terreur s’est traduit par l’assassinat de Hariri, mais aussi ceux de l’écrivain Samir Kassir, de l’ancien secrétaire général du parti communiste libanais Georges Hawi, et du journaliste et député Gébrane Tuéni.
- En juin dernier, le vice-président syrien Abdelhalim Khaddam prenait sa retraite du pouvoir. Le mot « retraite » est en fait inapproprié : il s’est plutôt agi d’une « dérobade » pour permettre à l’homme de mieux liquider ses affaires et quitter le navire en dérive avant que la tempête annoncée n’arrive. Effectivement, quelques mois plus tard, Khaddam annonçait, de Paris, sa décision de « rompre » avec le régime de Damas. Dans une série d’interviews avec divers médias arabes et étrangers, il est même allé jusqu’à accuser le président Bachar al-Assad d’avoir personnellement donné l’ordre d’assassiner Hariri.
- Durant la longue journée du 8 janvier, l’affaire Khaddam était à l’ordre du jour du sommet syro-saoudien. A l’issue de cette rencontre, le président syrien obtenait du monarque Abdallah qu’il interdise à tous les médias saoudiens ou sous influence saoudienne de publier les déclarations de Khaddam ou de couvrir ses agissements. Cela n’a pas empêché l’ancien vice-président de poursuivre sa dissidence, multipliant les contacts et les déclarations dans de nombreux autres médias. Il n’a pas non plus caché son intention de rencontrer publiquement Ali Sadreddine Bayanouni, le contrôleur général (leader) des Frères musulmans syriens, et de former un gouvernement en exil.
- Bien que l’homme de la rue en Syrie ne nourrisse aucune sympathie pour Khaddam, l’un des plus grands corrompus du régime qui a assumé avec Assad père toutes les décisions politiques majeures, notamment en ce qui concerne le Liban, bien que la population soit loin de le regretter, sa défection théâtrale a constitué un coup dur pour le régime. Probablement le plus dur depuis l’accession de Bachar à la tête de l’Etat.
- Ce même mois de juin 2005, le général Hicham Bakhtiar, le plus sanguinaire et le plus sadique bourreau des services de la sécurité militaire, entrait en jeu au moment même où Khaddam claquait la porte. Il a fait son entrée au commandement national du Baas, à l’issue du congrès national du parti, au pouvoir depuis 1963. Cette promotion d’un officier de la sécurité militaire montre, si besoin en est, que le régime dont Bachar a hérité n’a pas changé de nature, ou plutôt a changé en pire, puisque que Hafez al-Assad avait toujours pris soin de ne pas laisser les officiers du renseignement accéder au commandement du parti. L’élection de Bakhtiar prouve que le parti Baas agit sur les ordres directs des mafias de la corruption, du despotisme et des appareils de sécurité. A en croire les informations qui circulent à Damas, le président Bachar al-Assad aurait pris la décision de charger le général Bakhtiar de former le nouveau gouvernement syrien !
- En octobre dernier, le général Ghazi Kanaan est retrouvé « suicidé » (voir le numéro de décembre 2005 d’Afrique Asie). L’élimination de la scène politique d’un des piliers sécuritaires du régime constitue une rupture radicale avec une certaine « culture » définie par Hafez al-Assad, qui exigeait des différents centres du pouvoir de toujours cohabiter harmonieusement. Si, par malheur, ceux-ci entraient en conflit, l’exclusion du plus faible ne devait pas apparaître comme une victoire du plus fort ni entraîner l’humiliation du vaincu.
- Avec l’élimination de Kanaan, ce principe a volé en éclats. La disparition douteuse d’un homme de ce calibre, au moment même où le régime fait face à la montée des périls, n’est pas habituelle. Il a fallu pour cela que des considérations touchant aux intérêts suprêmes du clan familial entrent en jeu. Le grand « crime » de Ghazi Kanaan aura été de présenter le « profil » de l’homme qui pourrait remplacer Bachar al-Assad. Cela a causé sa perte.
- Mais les conséquences de cette élimination sans précédent dans les annales du régime sont gravissimes. De larges couches de la communauté alaouite, qui s’étaient mises au service du régime, commencent à craindre sérieusement pour leur sécurité. Tous ceux qui pourraient représenter, aux yeux du cercle étroit du pouvoir, une menace quelconque se sentent désormais en danger. L’inquiétude montante au sein de ces couches, d’où sont issus nombre d’officiers de l’armée et des services de sécurité, risque de porter un coup préjudiciable au régime, dans la mesure où elle affaiblirait l’adhésion de la communauté alaouite au pouvoir en général, et à la famille Assad en particulier.
- Voilà pourquoi la « solidarité » est, par les temps qui courent, un mot très en vogue à Damas. Le parti au pouvoir, le Parlement, le gouvernement et les partis alliés ont l’exigence d’exprimer bruyamment leur solidarité avec la direction politique. Cette « solidarité » va au-delà de la simple expression de soutien à la personne du président. Elle doit aussi s’accompagner d’une condamnation pour haute trahison à l’encontre de Khaddam, qui fut, jusqu’à il y a quelques mois, le numéro deux du régime ! On sort du placard les anciens retraités du régime, qui sont mis à contribution pour exprimer leur solidarité à Bachar et participer au lynchage du « félon » Khaddam.

Cette profusion de « solidarité » sollicitée est mal perçue par Khaddam qui se sent, selon ses visiteurs, trahi par ses parrains. Il ne décolère plus depuis quelques semaines contre les médias saoudiens qui, après avoir, au début de sa dissidence, assuré sa promotion avec enthousiasme, l’ont enterré sans autre forme de procès. Qu’il se rassure : le peuple syrien, dans toute sa diversité et ses obédiences politiques et sociales, semble totalement immunisé contre le syndrome de solidarité…

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