Friday, December 16, 2005

Le charme indiscret de l’or noir

Pendant que les prix de l’or noir flambent et que les caisses de la dynastie Saoud se remplissent, le régime saoudien, de nouveau courtisé par l’Occident, semble désarmé devant l’ampleur de la crise qui secoue un royaume incapable de se réformer et de se renouveler.

La “communauté internationale”, du moins comme la conçoivent la France et les Etats-Unis, ne manque pas, par ces temps de flambée des prix de l’énergie, de raisons de courtiser l’Arabie Saoudite. Il y a d’abord sa fabuleuse richesse pétrolière et gazière et le rôle “positif” joué par le royaume au sein de l’Opep en faveur des intérêts occidentaux. Il y a aussi les gigantesques avoirs saoudiens déposés dans les banques de ladite “communauté internationale”, tout comme les judicieux contrats d’achat d’armes qui se chiffrent par milliards de dollars et dont elle espère tirer le maximum de profits… Autant de raisons qui semblent justifier aujourd’hui le chœur des louanges quelque peu surréalistes en direction du régime wahhabite aux commandes à Ryadh, à propos du “processus de réforme” dans lequel il serait engagé. Lisez par exemple ce qu’a pu déclarer à ce propos le président français, Jacques Chirac, lors de la visite officielle du prince héritier saoudien Abdallah Bin Abdelaziz à Paris, vers la mi-avril : “Sous votre impulsion, le royaume a entrepris un ambitieux programme de transformations, auquel je souhaite rendre un hommage particulier. Les différentes sessions du Dialogue national, les récentes évolutions au sein du Conseil consultatif et la tenue des élections municipales partielles sont autant d’initiatives qui méritent d’être saluées.”
Une autre visite est inscrite sur l’agenda du prince héritier, pour la fin avril, à l’heure où nous mettons sous presse : il s’agit d’une rencontre avec le président américain G.W. Bush, dans son ranch texan de Crawford. En prévision de cette visite et afin qu’elle se déroule dans les meilleures conditions, Mme Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat américaine, n’a pas été moins avare que le président français dans les compliments à son illustre invité “réformateur”. Dans une interview au quotidien américain Wall Street Journal, elle détaille son plaidoyer pour le régime wahhabite : “Les Saoudiens combattent les terroristes et leurs financiers, s’emploient à faire progresser les efforts de paix entre Palestiniens et Israéliens et avancent en direction de l’élargissement du droit de vote et des droits des femmes. Il y a une image qui ne quitte pas ma mémoire, celle que j’ai vue lors du déroulement des élections municipales saoudiennes : un homme, accompagnée de sa petite fille, entre au centre de vote et fait déposer son bulletin de vote dans l’urne par l’enfant. Cela nous donne une idée de ce que sera la vie de cette fillette si les réformes démocratiques se poursuivent !”
Le nouveau discours occidental flattant l’Arabie Saoudite, au-delà des appétits pétroliers et financiers, cache mal une inquiétude croissante à propos de la solidité du régime wahhabite. La dynastie Saoud est perçue désormais comme impuissante à concilier deux réalités explosives dont dépend la survie du régime : d’une part combattre les courants islamiques fondamentalistes extrêmes et contenir leurs opérations armées de plus en plus nombreuses, et d’autre part préserver la stabilité du régime et le maintien de ses liens avec l’institution religieuse wahhabite. Le bilan de la guerre entre le pouvoir saoudien et les groupes islamiques armés est impressionnant pour un pays qui se targuait d’être un havre de paix et de sécurité. Vingt-deux actions terroristes diverses (attentats à l’explosif, enlèvements, attaques contre des sites gouvernementaux et occidentaux…) ont été dénombrées. Quatre-vingt-dix Saoudiens et étrangers ont été tués et cinq cents blessés. Trente-neuf agents de sécurité y ont également péri et deux cent treize ont été blessés contre quatre-vingt-douze morts et dix-sept blessés dans les rangs des intégristes. Par ailleurs cinquante-deux tentatives d’attentats ont été déjouées. Les dégâts matériels causés par cette guerre s’élèvent jusqu’ici à un milliard de dollars !
Il faut souligner cependant que les services de sécurité saoudiens ont emporté dernièrement des succès importants dans leur lutte contre les groupes armés. Ainsi, lors d’une bataille rangée qui a duré trois jours, début avril, dans une bourgade située à trois cents kilomètres au nord-ouest de Ryadh, dans la région d’Al-Qassim, ils ont liquidé le Saoudien Saoud al-Outaïbi, le chef présumé d’Al-Qaïda dans le royaume et le Marocain Abdelkrim al-Mejjati, cerveau présumé des attentats de Madrid le 11 mars 2004. A en croire le communiqué du ministère saoudien de l’Intérieur, Al-Outaïbi serait devenu le chef d’Al-Qaïda depuis la mort d’Abelaziz al-Moqrine dans un accrochage avec les forces de sécurité en juin dernier.
Il faudra cependant admettre que cette “guerre contre le terrorisme” tant vantée par Chirac, Bush et Rice, s’est limitée jusqu’ici aux seuls volets sécuritaire et technique. Elle se trouve en revanche totalement impuissante à s’étendre aux autres volets : politique, éducatif et religieux. Quant à ses résultats sur le plan de la communication officielle, ils sont quasiment catastrophiques. Ladite campagne a jusqu’ici manqué de plan méthodique pour identifier les sources financières, religieuses et culturelles à l’origine du développement des courants extrémistes et leur enracinement dans la société. On a même assisté à un retournement de situation quand certains défenseurs zélés du régime ont entrepris de réinterpréter certaines thèses religieuses à propos du jihad et de la relation entre gouvernant et gouvernés, afin de dénoncer l’utilisation qui en est faite par les islamistes.
Contre toute attente, cette tentative a tourné à l’avantage des extrémistes, qui y ont gagné une légitimité supplémentaire dans la conscience populaire, d’autant plus que cette campagne ne s’est accompagnée d’aucune sorte de réforme concrète, notamment au niveau des libertés publiques, de la diversité intellectuelle et du droit à la libre expression. Cela a accrédité la thèse selon laquelle les extrémistes islamistes, en portant les armes, ne feraient qu’appliquer les préceptes religieux qui prônent le jihad contre un monarque despote et corrompu.
Cette situation délétère ne fait que s’aggraver. Ce phénomène n’est certes pas nouveau dans l’histoire du royaume, ni isolé par rapport aux événements similaires qui se déroulent en Irak, au Koweït et au Qatar. Il est loin d’être en voie d’éradication. Les analystes prévoient même son aggravation, qui se traduirait par des attaques contre des installations pétrolières, assassinats de princes issus de la dynastie régnante et des principaux dignitaires du régime… Pour comprendre l’éventualité d’une telle descente aux Enfers, il est primordial de rappeler que les premières manifestations de violence remontent à la fin de la guerre en Afghanistan vers la fin des années quatre-vingt-dix. Les combattants saoudiens – encouragés à combattre les “communistes athées” et généreusement entraînés, armés et financés par les autorités politiques et religieuses du pays – rentraient alors dans le royaume, enivrés par leur “victoire” sur l’Union soviétique. Le régime saoudien n’a pas tardé à réaliser à quel point ces anciens d’Afghanistan constituaient des bombes à retardement qui risquaient d’exploser à tout instant. Pour désamorcer cette menace, les autorités saoudiennes ont mis en œuvre deux politiques contradictoires à l’égard de ces anciens jihadistes. D’une part, elles les ont mis sous contrôle policier sévère, n’hésitant pas le cas échéant à les réprimer, à les jeter en prison et à les torturer. D’autre part, elles ont essayé de réactiver les canaux de négociation avec leur chef, Oussama Ben Laden, qui avait quitté le royaume pour le Soudan, et aussi avec les taliban qui avaient entre-temps pris le contrôle de l’Afghanistan et y avaient accueilli Ben Laden. Avec les résultats que l’on sait.
Les facteurs aggravants de la crise de régime sont désormais à l’œuvre. Le régime wahhabite a en effet vu sa légitimité religieuse et politique ébranlée. Le principe de la soumission au pouvoir politique, jusqu’ici fondé sur les textes religieux, est contesté. Il est même devenu une arme à double tranchant utilisée par les opposants islamistes pour fonder une contre-légitimité prônant l’insoumission au régime et justifiant son renversement. Sur le plan proprement politique, le régime a perdu toute crédibilité et peine à effacer dans l’opinion publique son image de pouvoir antinational et totalement inféodé, particulièrement depuis le 11 septembre, aux intérêts américains.
A cette perte de légitimité religieuse et politique s’ajoute une régression économique caractérisée par la fin, ou presque, de l’Etat providence. La crise économique qui s’aggrave, malgré l’augmentation spectaculaire des prix pétroliers, pousse les Saoudiens à réclamer la liberté d’action politique, non pas par mimétisme, mais tout simplement pour mieux défendre leurs intérêts et l’avenir de leurs enfants, qui semble bouché.
L’impasse totale dans laquelle se trouve le régime n’est pas due aux seules raisons énumérées ci-dessous, ni à sa fuite en avant en procédant à des réformettes inconsistantes et insuffisantes. Elle s’explique surtout par sa nature même, la sclérose de ses institutions et le vieillissement de ses hommes. Tant qu’il se contentera de traiter la violence au jour le jour, sans vision nationale et sans réel projet de réforme globale, cette impasse est appelée à perdurer. Et ce ne sont pas les conseils municipaux squelettiques vantés par Chirac à l’Elysée ou cette photo d’un citoyen saoudien emmenant sa fillette au bureau de vote devant laquelle Condoleezza Rice s’est extasiée qui vont y changer quelque chose.

Ouverture en trompe-l’œil
Dans son plaidoyer en faveur de la dynastie Saoud, le président français a occulté le fait que les sessions de dialogue national engagées dans le royaume ressemblaient à des dialogues de sourds, d’autant que les trois réformateurs, Abdallah al-Hamed, Matrouk al-Faleh et Ali al-Damini, étaient toujours emprisonnés. Quant aux derniers développements qu’a connus le Conseil consultatif (Al-Majliss al-Istichari), ils restent purement formels et illusoires dans la mesure où ce conseil, non élu, reste purement consultatif et n’a aucun pouvoir de décision. Idem pour les conseils municipaux, pratiquement dépourvus d’autonomie et de pouvoir de décision, dont la moitié des membres sont directement nommés par les autorités de tutelle. Mme Rice a délibérément oublié que la plus accessible des réformes aurait été d’octroyer à cette petite fille le droit d’effectuer une promenade ou une course dans une voiture conduite par sa mère ! Ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas. Enfin, le président Chirac et la secrétaire d’Etat américaine Rice ne pouvaient ignorer le rapport publié récemment par le Christian Science Monitor sur le soutien financier saoudien aux missions évangéliques américaines. Cela dans le cadre d’une campagne de soutien au programme du Parti conservateur britannique concernant les droits des femmes. Ce programme, s’il est adopté, causerait un grand préjudice aux droits de la femme en réduisant le délai au-delà duquel l’avortement n’est plus autorisé.

May 2005

2 Comments:

Blogger Home and Brick Works said...

dear Sobhi Hadidi
i love your style of writing,

9:36 PM  
Blogger Home and Brick Works said...

the intellectual development in syria has suffered being raped systematically for the most of the post WW2 period of time..
and somehow a complex of inferiority finds a home in the conscience of the Syrian people...
living between the fear of a civil war,and that of Israel...
but you provide what many could have really enjoyed...
anyways...i feel privileged being self exiled for the last 26 years because that's how i got to be able to know you..
thank you

9:50 PM  

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